Le démarketing territorial, c'est aussi du marketing territorial !

Publié le par Vincent Gollain

Crédit photo : Vincent Gollain, 2022

Crédit photo : Vincent Gollain, 2022

Organisées cette année à Annecy, les 9èmes Rencontres nationales du marketing et de l'identité des territoires de Cap'Com ont été lancées le 28 février par Mme Frédérique Lardet, Présidente de la Communauté d'Agglomération du Grand Annecy. Celle-ci a insisté dans ses propos sur l'enjeu de transformation de son territoire et le besoin de l'apaiser du fait des tensions nées de l'attractivité de cette destination prisée, souvent classée en France dans le Top 3 des meilleurs lieux à vivre. Elle a donc repris le concept de démarketing pour signifier la volonté des élus locaux de limiter l'attractivité du territoire par l'arrêt des actions de communication vers l'extérieur. Elle a également évoqué la nécessité de définir une stratégie territoriale forte pour identifier les domaines, notamment économiques, pour lesquels des actions pourraient être menées pour conserver une dynamique économique de moyen-long terme et donc une offre d'emplois diversifiée aux habitants. Le Grand Annecy a mené plusieurs projets en ce sens et notamment le projet de territoire ou sa contribution au SCoT du bassin annécien en cours de révision (plus sur la stratégie d'aménagement). Ses propos illustrent plusieurs éléments clés qui composent une stratégie de démarketing et traduit aussi l'élargissement de ce concept du tourisme à l'attractivité résidentielle. Dès lors comment peut-on définir une stratégie de démarketing territorial, concept parfois utilisé dans des acceptations très différentes ?

Crédit photo :  Vincent Gollain, 2022

Crédit photo : Vincent Gollain, 2022

Le démarketing, un concept marketing ancien

La notion de démarketing a été clairement rappelée par nos collègues du réseau de veille en tourisme canadien en 2019 de la manière suivante : "Loin d’être nouveau, ce concept, proposé en 1971 par Philip Kotler et Sidney Levy, repose sur l’idée que les surplus peuvent être aussi problématiques que les pénuries. Les auteurs, respectivement économiste et spécialiste du marketing, définissent le démarketing comme étant l’aspect du marketing qui vise à décourager la clientèle (ou un segment en particulier) sur une base temporaire ou permanente. Ce type de stratégie est déjà largement employé dans certains secteurs, notamment en santé publique. Pensons aux publicités sur les paquets de cigarettes ou encore à celles qui invitent la population à consommer alcools et jeux de façon modérée. L’idée est donc de limiter l’augmentation de la demande plutôt que de l’encourager, puisqu’une croissance aurait des répercussions négatives sur la société. Dans le contexte touristique actuel, de plus en plus de gestionnaires doivent réfléchir à cette notion. Doit-on à tout prix attirer un maximum de visiteurs au nom du développement économique ?" Dans son billet de mai 2021, Marc Thébault reprend également cette définition. 

Le démarketing territorial, c'est toujours du marketing territorial

Contrairement à certaines idées véhiculées, s'engager dans le démarketing ne revient pas à s'arrêter de faire du marketing territorial, mais plutôt à en faire plus mais différemment. Il ne s'agit plus de viser à augmenter les flux, ce qui était souvent l'alpha et l'oméga de nombreux marketeurs territoriaux, mais d'agir pour les diminuer, les réorienter géographiquement, les étaler sur les ailes de saisons, etc. Face aux forces du marché, aux réseaux sociaux, aux classements, ... stopper sa communication extérieure ne suffit donc pas pour freiner les phénomènes en présence qui dépassent très largement la capacité d'une collectivité à changer le cours des choses. Il va donc falloir en faire nettement plus pour démarketer une destination qu'il s'agisse d'un quartier de centre-ville, des calanques de Marseille ou encore d'une station de montagne. 

De plus, comme on l'a vu précédemment, lancer une démarche de démarketing ne se limite pas au seul domaine du tourisme, mais peut également englober d'autres marchés de l'attractivité : résidentiel, économique, immobilier d'entreprise, lieu de tournage, etc.

Le marketing mix est tout aussi utile pour le démarketing

Le marketing a pour objectif d'agir sur les prises de décision des cibles retenues. Il n'est donc pas anormal de mobiiser le célèbre marketing mix pour agir. Bien sûr, on peut partir des 4 P (Produit, Prix, Placement, Promotion) qui composent le modèle initial du marketing mix. On peut aller aussi plus loin en prenant une définition élargie comme celle des 15 P que j'ai eu l'occasion de présenter.

Prenons quelques exemples pour illustrer mon propos :

  • Promotion. C'est presque le plus facile car c'est souvent ce qui vient tout de suite à l'esprit des marketeurs territoriaux et décideurs. La destination va arrêter de communiquer ou va communiquer différemment, par exemple pour déplacer des flux de visiteurs d'un lieu très fréquenté vers d'autres lieux moins connus. C'est la stratégie employée par Amsterdam lorsque le site Internet Iamsterdam pousse à découvrir des quartiers et régions d'Amsterdam (voir ici).
  • Placement. Cela consiste à limiter ou réorienter les actions de prospection en faveur de l'accueil d'activités sur un territoire. Par exemple en se rendant dans le salon professionnel du MIPIM (immobilier d'entreprise), certains territoires visent à attirer de nouveaux investisseurs immobiliers mais en les fléchant vers des destinations émergentes méconnues ou nouvelles.  
  • Prix. Celle politique est parfois plus délicate à assumer localement car il peut s'agir de renchérir le coût de la destination par exemple en augmentant le coût du séjour (taxe touristique, prix du parking, nature de l'offre hôtelière proposée, etc.) ou en valorisant une offre qualitative et essentiellemnt haut de gamme comme à Monaco. Afin de décourager certains acheteurs potentiels, il peut s'agir aussi de pratiquer la transparence du prix au m², ou d'indiquer de longs délais de livraison pour du neuf, en matière d'immobilier résidentiel ou d'entreprise.
  • Produit. Cette stratégie va consister à limiter l'accès à la destination en mettant en place des actions marketing hors-prix. Le plus souvent cela consiste à limiter l'accès au site en obligeant une réservation en amont et pour un horaire précis. La limitation de l'accès au Mont Blanc l'été entre dans cette approche. Il peut s'agir aussi de "déréférencer" des lieux spécifiques de la destination pour éviter la venue de visiteurs attirés par les mêmes spots likés, relikés et surlikés ! La vidéo humoristique de la Nouvelle Zélande va dans ce sens (article). Il peut enfin s'agir d'ériger des "barrières mentales" pour décourager certains publics de s'intéresser à un territoire. Pour limiter l'installation de retraités, certaines collectivités territoriales ont ainsi volontairement mis l'emphase dans leur communicatoon sur les publics jeunes et la dimension festive de leur territoire.
  • Personnel. Il va s'agir ici de former et d'entraîner les personnels en contact avec les publics pour qu'ils les orientent dans le sens souhaité par le territoire pour baisser la pression sur certaines zones. Par exemple, recommander une plage moins connue, orienter une entreprise vers un territoire répondant à son besoin mais qui n'était pas dans son cahier des charges, etc. Pour faciliter l'accélération de la mise en place d'un tourisme durable, le Comité Régional du Tourisme et des Loisirs d'Occitanie a développé, un plan d'actions doté de nombreuses actions de formation pour leurs partenaires (plan d'actions à télécharger).

Le démarketing peut être insuffisant. Il faut alors agir par des actions structurelles

Lorsqu'un territoire est à la mode, il peut être parfois très difficile de le démarketer uniquement par des actions de marketing mix. Il faut alors engager des actions lourdes associant concertation avec les habitants et les socio-professionnels, mesures économiques, actions d'urbanisme, actions réglementaires, etc. Amsterdam est certainement l'un des exemples le splus réussis en Europe. En effet, après les débats sur le surtourisme et le rejet de la situation par les habtants, ils ont su mettre en place à travers une forte concertation la stratégie "City in Balance" et retrouver ainsi un objectif partagé d'équilibre entre la qualité de vie des habitants et la qualité de l'accueil des visiteurs.

Vincent Gollain, mars 2022

Remerciements à Cap' Com (Yves Charmont et son équipe)

(c) Ville d'Amsterdam

(c) Ville d'Amsterdam

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