"Paroles d'experts", Michel Ghetti, France Industrie et Emploi
1. Michel Ghetti, vous êtes le Président Directeur Général de France Industrie & Emploi, pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre parcours et votre société ?
Mon parcours professionnel a été essentiellement orienté vers les métiers du marketing. Depuis vingt ans désormais je m’intéresse plus particulièrement au marketing des territoires.
L’histoire du marketing territorial en France est étroitement liée à celle de la décentralisation. Elle est née avec les lois de 1982-1983 et s’est installée très progressivement dans les pratiques des territoires. Elle a connu une évolution particulière en 2002 avec la loi de modernisation sociale du 17 janvier qui a créé une obligation à la charge des entreprises concernées par une fermeture partielle ou totale d'activités, de contribuer à l'effort de revitalisation des sites. Ceci a poussé les collectivités à mieux définir leurs stratégies de développement économique et de s’interroger sur leurs actions de marketing territorial.
Quand j’ai commencé à aborder cette problématique de marketing territorial je me suis progressivement intéressé à la relation entre des entreprises s’engageant dans des processus de revitalisation et les dynamiques économiques des territoires. Après plusieurs années passées dans différents cabinets de conseil, j’ai décidé de créer en 1996 la société France Industrialisation et Emploi (FIE) qui s’est intégrée par la suite dans une entreprise aux compétences plus étendues. En 2010, notre société a connu d’ailleurs une nouvelle évolution puisque la marque F/I/E s’applique désormais à nos quatre métiers : revitalisation, communication, stratégie sociale et gestion des risques.
Notre métier de « revitalisation » s’adresse à deux catégories de clientèles :
- Les entreprises. C’est l’essentiel de notre Chiffres d’Affaires. Nous leur apportons un appui pour la conception et la mise en œuvre de leurs opérations de revitalisation.
- Les territoires. Nous contribuons à leurs stratégies de développement économique et de marketing territorial.
2. Dans une tribune publiée dans le journal Les Echos fin 2009, vous avez indiqué que le « marketing territorial n’est pas assez professionnel » en France. Pouvez-vous nous détailler votre point de vue ?
Dès l’origine, l’une des questions clés du marketing territorial français a été celle de l’articulation de l’offre globale France avec celles des offres locales portées par les collectivités territoriales. Or, malgré les initiatives déjà menées, l’offre globale proposée par l’Etat, qui me parait performante, me semble encore incorrectement déclinée au niveau des collectivités territoriales. Il reste encore des efforts pour parvenir à l’exigence de cohérence et, éviter les redondances ainsi que les contre-messages.
En matière de revitalisation, je constate également que peu de place est accordée à l’initiative des entreprises engagées dans des processus de restructuration.
Si on leur rappelle justement leurs obligations, en revanche rarement l’occasion est saisie de les associer aux stratégies de développement économique et de marketing territorial engagées par le pouvoir institutionnel. C’est dommage car l’on se prive localement de l’appui non négligeable de sociétés souvent internationales et pouvant jouer un rôle citoyen bien plus important.
Enfin, il est vrai que le marketing territorial a parfois été desservi par des actions menées sans préparation et qui ont laissé des traces dans les mémoires.
3. Ce manque de professionnalisme tient-il aussi pour partie à un manque d’enseignement de cette matière dans l’enseignement supérieur français ?
Tout à fait, même s’il ne faut pas surestimer ce facteur. Le marketing territorial mobilise de nombreuses compétences qui sont enseignées. En revanche, je partage votre avis sur le faible nombre de formations supérieures en France dispensant un tel enseignement en tant que tel. C’est regrettable.
4. Selon vous, quelles sont les conséquences de ce manque de professionnalisme en marketing territorial ? Comment le mesurez-vous à l’échelle de votre société ?
Le manque de professionnalisme en matière de marketing territorial peut se traduire par une plus faible attractivité internationale de la France et de ses régions, nos atouts et nos potentialités pouvant se trouver insuffisamment valorisés au regard des offres alternatives proposées par les territoires concurrents.
Juste un exemple pour illustrer le manque de dimension du marketing territorial en France et ses conséquences : trop souvent, les fonds mobilisés par les pouvoirs publics, y compris du fait des contributions des entreprises, sont insuffisamment employés pour créer une offre en adéquation avec la demande potentielle ou pour mener des actions de prospection à l’extérieur du territoire. Par exemple, dans un département français, il a été décidé par l’administration de consacrer uniquement 100 000 euros pour des opérations de prospection exogène sur un budget global de 15 millions. C’est trop peu face aux moyens déployés par les offres concurrentes et cela montre surtout le scepticisme des administrations vis-à-vis du marketing territorial.
5. Quelles recommandations feriez-vous aux collectivités territoriales et agences de développement pour développer leurs pratiques de Marketing Territorial ?
La France ne manque pas d’atouts, bien au contraire. Nous n’avons donc pas le droit d’avoir une vision trop administrative, et cela me semble être un devoir d’intensifier les actions en faveur de l’attractivité internationale de notre pays.
Une clarification des compétences des collectivités territoriales est d’abord nécessaire. La constitution d’une offre territoriale doit ensuite être conçue et mise en œuvre avec plus de prospective et, en collaboration plus étroite avec les créateurs d’emplois que constituent les entreprises - y compris avec celles qui, à un moment de leur existence, procèdent à des restructurations. L’évolution, le changement, ne sont pas conjoncturels, ils sont structurels et font partie de la vie normale de tout organisme, donc de toute entreprise. Quand cette dernière réajuste ses effectifs, il est légitime de lui signifier ses obligations de revitalisation. Il serait plus judicieux et plus efficace de l’associer de manière permanente au marketing du territoire.
Cette offre territoriale doit aussi être hiérarchisée du point de vue des objectifs politiques. Par exemple, dans le Sud de la France, il est certain que l’accueil d’entreprises passe par la capacité d’offrir de nouveaux logements à leurs salariés, ce qui peut être contradictoire, du fait du manque de foncier, avec l’accueil de populations fortunées cherchant à construire des résidences de luxe.
Enfin, il faudra bien que les pouvoirs publics, qui ont finalement la maîtrise de toutes les actions déployées, comprennent que la prospection de nouveaux investisseurs n’est pas un chapitre de pure forme dans un plan de développement économique, mais bien un moyen réel – et sans doute le plus efficace – de créer des réseaux et de la richesse nouvelle pour un territoire.
Propos recueillis en décembre 2009