Parole d’experts : Entretien avec Monique Gosselin
Au moment où elle s’engage dans une nouvelle vie nous avons le plaisir d’accueillir dans les colonnes de ce blogue, Monique Gosselin qui a été l’une des pionnières en France dans la mise en place d’outils innovants de marketing territorial. Son regard sur l’évolution des pratiques aide à mieux appréhender les transformations en cours.
Interview réalisée en mars-avril 2023 par Vincent Gollain.
Monique Gosselin, peux-tu nous décrire ton parcours au service de la promotion des territoires ?
J’ai cheminé dix-sept ans au service des entreprises et des territoires ! J’y suis venue depuis ma spécialisation en marketing stratégique, à Besançon en Franche-Comté, … un territoire connu pour son tissu d’entreprises de sous-traitance industrielle, et pour qui l’approche marketing ne coulait pas de source. Ma vocation, telle que je l’avais définie en 1997 lorsque je dirigeais mon entreprise, était de participer au développement de la région en contribuant à la croissance des entreprises.
C'est donc assez logiquement qu’en 2005, j'ai intégré en tant que responsable de la promotion économique, l’Agence Régionale de Développement (ARD) de la Franche-Comté, jeune structure naissante et pleine d’ambition. J’ai commencé par établir un bilan de ce qui était fait par les départements et les acteurs régionaux, avant de proposer un plan de promotion qui visait à compléter les dispositifs existants.
Comment faire des choix pour afficher des domaines de spécialisation ? Je me suis appuyée sur l’engouement suscité par la création des pôles de compétitivité, (quatre venaient d’être créés en région : microtechniques, plasturgie, agro-alimentaire, véhicule du futur), pour mettre le focus sur les atouts économiques différenciant du territoire. Ce travail mené en étroite collaboration avec ces pôles visait à construire un « package d’actions et d’outils » cohérent : présence sur un salon de rayonnement international, création d’une vidéo spécifique avec des témoignages et organisation d’un voyage de presse en région centré sur des entreprises emblématiques et des centres de recherche / établissements de formation, accompagné d’une brochure spécifique, (en complément des outils classiques de communication de l’agence), etc. C’est ainsi, qu’en 6 ans, plus de 20 opérations d’envergure ont été réalisées.
Il était également important de renforcer l’image économique de la région Franche-Comté. J’ai travaillé sur l’identification des atouts économiques génériques et j’ai initié la réalisation de témoignages d’acteurs économiques clés : entrepreneurs, dirigeants d’entreprises, cadres, chercheurs … 33 clips ont été réalisés. Ce travail avec les acteurs économiques a posé les bases de la politique d’ambassadeurs qui avait été mise en place (Voir article).
Comment l’irruption du numérique a-t-elle transformé les pratiques du marketing territorial ?
Pour moi, les « informations vivantes » doivent être numériques. Avec le développement du digital, j’avais prôné l’abandon de l’impression en nombre des brochures filières pour les remplacer par la publication de dossiers de presse ciblés, actualisés et travaillés sous un angle spécifique. Les relations presse ont aussi évolué pour être plus agiles et réactives à l’actualité.
Le numérique remplace mais ne « tue » pas complètement les publications. Il amène à se questionner sur leur usage. Pour moi, cela pousse à monter en gamme les publications « print ». Dès 2013, j’ai écrit pour la région un livre « Franche-Comté originale, créatrice », 185 pages, véritable cadeau VIP haut de gamme, tiré à 5 000 exemplaires. C’était l’un des outils de la marque régionale lancée par la Région (née en 2010 cette marque s’inscrivait dans la dynamique LGV Rhin Rhône de 2011 et a été réalisé en lien avec Philippe Lancelle qui était directeur de la communication à la Région. C’est resté le seul livre bilingue qui traitait la Franche-Comté sous l’angle économique.
Peux-tu nous parler du magazine, InfluenceS et nous expliquer ce qu’’il apporte au marketing territorial de la Bourgogne-Franche-Comté ?
J’ai lu dans l’un des derniers numéros du magazine Brief que « les magazines print reviennent dans les régions ». Je retrouve dans leur analyse ce qui avait motivé en 2017 la création du magazine InfluenceS (voir ici). Ce un magazine a pour vocation de faire briller des bijoux territoriaux. Nous avons été très inspirés par nos actions avec le secteur du luxe. Ce magazine s’intéresse au savoir-faire et au sujet sur la Main d’œuvre. Le magazine a été réalisé en interne pour plus de 90%.
Le titre du magazine InluenceS est volontairement au pluriel car il symbolise l’interpénétration permanente entre les entreprises et les terroirs où naissent et se développent des savoir-faire grâce à des ressources particulières (ressources naturelles, écosystèmes au fil du temps). On peut parler d’Influence des territoires sur les activités des hommes et inversement ! InfluenceS rend visible l’écosystème du luxe et les savoir-faire d’excellence et d’exception présent en Bourgogne-Franche-Comté. Nous sommes sur la définition du Luxe du comité Colbert : du luxe de l’objet au luxe expérientiel. Nous sommes la seule région en France qui joue sur toute la gamme. Cette excellence doit participer au rayonnement de toute la région, tout comme le luxe français et notre art de vivre participent au rayonnement de la France dans le monde.
Les photos du magazine sont artistiques pour montrer les savoir-faire sans trop dévoiler (la marque, les techniques et savoir-faire, etc. ). Les entreprises de cette filière sont très discrètes et ont des accords de confidentialité contraignants avec leurs donneurs d’ordre… peu à peu nous avons réussi à les faire sortir de leur réserve tout en respectant rigoureusement leurs souhaits de discrétion.
Le premier numéro consistait en un portefolio -proche d’un catalogue d’expo- permettant de garder un support après l’expo luxe de Paris et Genève, le second un catalogue sectoriel pour montrer la destination de ces savoir-faire, et le troisième un carnet de voyage pour que chaque territoire se retrouve dans la démarche… Depuis le magazine s’est installé dans le paysage. Nous travaillons avec les codes de communication et le vocabulaire de la filière du luxe sous l’angle des tendances RSE. La mise en forme varie légèrement à chaque numéro.
Je pense que la diffusion du magazine donne en infra régional un sentiment « d’appartenance à une communauté » et permet de faire rayonner les initiatives et les talents à l’extérieur. C’est aussi une riche source d’informations pour les journalistes, et pour les acteurs qui ne se connaissent pas toujours … et surtout il est plébiscité à chaque numéro, on m’a même demandé s’il était vendu en librairie. Ce magazine est dans l’air du temps et s’est inscrit, avant l’heure, dans la dynamique du Made in France.
La réussite du magazine InfluenceS et, plus particulièrement son rayonnement dans la filière du luxe, nous a permis d’accueillir en juin 2022, à la Saline royale d’Arc-et-Senans (site Unesco), la cérémonie de remise des Talents du luxe et de la Création (transfert de Paris). L’évènement a été l’occasion, dans ce cadre prestigieux, de faire rayonner la région par une multitude d’actions d’influence et de développement économique. 4 000 personnes ont été accueillies en 4 jours. (Note de la rédaction : cette opération a un air de famille avec celle du 360 Grand Est).
En Franche-Comté, vous aviez aussi lancé l’une des toute premières démarches françaises d’ambassadeurs territoriaux, peux-tu nous rappeler les grandes lignes de votre dispositif et les enseignements que vous en aviez tirés ?
C’est en 2008 qu’il a été décidé de lancer l’opération Ambassadeurs de Franche-Comté. Pour cela une chargée du projet a été recrutée. Il s’agissait de créer une plateforme, un réseau social dédié, pour fédérer et animer la communauté des franc-comtois qui se sentaient une âme d’ambassadeurs en mettant à leur disposition tous les outils et supports créés pour que chacun puisse être un relais d’information et de promotion des atouts du territoire.
L’opération a été stoppée dès 2010. Il y avait -déjà- une question budgétaire à ce moment-là et aussi une inadéquation entre les attentes du directoire de l’agence et les résultats obtenus : le réseau constitué était trop divers, trop « grand public », et certainement pas assez ciblé décideurs et investisseurs pour répondre aux attentes formulées par le directoire de l’Agence. On a connu, avant beaucoup d’autres, les difficultés à gérer un réseau d’ambassadeurs qui génère des retombées tangibles et visibles sur le développement économique d’un territoire.
La démarche ambassadeurs a repris en 2020 sur d’autres bases et dans le cadre de la nouvelle région. Fort de notre expérience, nous avons proposé à 12 personnalités, ayant un rayonnement extra-régional, de devenir les premiers ambassadeurs de la Bourgogne-Franche-Comté. Pour cela, ils nous ont parlé de leur vie dans leur territoire, des atouts de la région, dans un magazine créé spécifiquement et au travers de 12 témoignages vidéos. Leur réelle motivation et leur réseau personnel sont, à mes yeux, un facteur clé de succès. Ces témoignages sont accessibles en cliquant ici.
Beaucoup de réseaux d’ambassadeurs ont été lancés en France depuis 15 ans. Quels sont ceux qui t’ont marqué et pourquoi ?
J’ai adoré, Invest in Reims qui avait travaillé un réseau d’ambassadeurs très ciblé et très élégamment mis en scène. Je pense qu’’il y a eu de belles retombées.
Only Lyon bien sûr, réseau emblématique qui compte 27 000 personnes dans le monde et qui sait se renouveler depuis de nombreuses années.
Lille 3000 construit autour de la candidature de Lille, capitale européenne de la culture en 2003, et qui au-delà de l’évènement se construit une belle histoire. Il fête son 20è anniversaire !
Puis dernièrement, la Normandie s’est démarquée par une forte volonté politique je crois et la mise en œuvre d’un plan d’actions parfaitement orchestré. La Manche travaille son attractivité de façon vraiment remarquable.
Mais le plus emblématique est certainement celui de nos voisins helvétiques du Canton de Vaud : un réseau d’ambassadeurs à fort rayonnement, convaincus, formés et informés, véritables acteurs engagés qui portent auprès des décideurs et leaders d’opinion l’attrait de la confédération (voir ici).
Enfin, peux-tu nous livrer ton regard d’expert sur ce qui te semble essentiel de mettre en œuvre lorsqu’on lance une démarche de marketing territorial ? Et quels sont les nouveaux défis que les marketeurs territoriaux doivent affronter ?
Les fondements des démarches de marketing territorial restent les mêmes mais les processus se complexifient et la mise en musique de la partition doit indubitablement s’adapter.
En priorité, et ce n’est pas toi qui me contrediras, bien cibler, pour viser juste ! Réfléchir avec méthode mais aussi mettre en œuvre avec agilité. Bien connaître son territoire : ne pas être ni trop modeste ; ni trompeur. Chaque territoire peut répondre à des besoins spécifiques et pour les territoires ruraux cela est vrai aussi. Il ne s’agit pas d’attirer les foules mais d’être attractif en répondant aussi et surtout aux besoins des territoires et aux attentes des populations : habitants, étudiants, entreprises et touristes. Il faut bien sûr promouvoir le tangible et visible mais aussi la dimension immatérielle d’un territoire comme la solidarité entre les gens, par exemple. Dans les critères d’attractivité, la dimension soft devient clé. Il faut des atouts en phase avec l’esprit du temps (conjuguer esprit des lieux avec esprit du temps)
A mes yeux, aujourd’hui, il est aussi vital de développer des partenariats publics-privés ; d’impliquer les acteurs les plus concernés et de bien travailler les relais de prescription et d’information. L’implication des acteurs locaux comme des associations est également nécessaire. Des initiatives privées comme Guédelon donnent de l’âme, du sens et de la profondeur à un territoire.
Il faut agir ensemble. Se rassembler dans un salon c’est bien mais il faut casser les cloisons des stands collectifs pour créer des collectifs pluridisciplinaires quand cela s’y prête. Il ne faut pas hésiter à utiliser l’image : la photographie, monter des expositions pour faire rayonner à l’extérieur son territoire, utiliser le numérique immersif…
Pour réussir, les défis sont nombreux et je me contenterai d’en citer certains : le sujet des moyens financiers ; les transformations sociétales à suivre ; la mise en coopération plutôt qu’en compétition ; l’’animation de communautés ; les enjeux environnementaux et de transition écologique ; d’éthique ; ou les questions de gouvernance territoriale.
Comme je le disais au début de notre entretien, depuis 1997, mon vœu était de participer au participer au développement de la région en contribuant au développement des entreprises. C’est ce que je vais continuer à faire ou inversement ! D’après Karl Anders Ericsson, un psychologue suédois qui a déterminé un modèle mathématique, il faudrait 10 000 heures de pratique pour devenir un expert. Même si j’ai largement dépassé ce quota, je vais continuer à faire ce que je sais faire : apprendre, expérimenter, valoriser… transmettre aussi.