Une page se tourne : l’urgence d’un marketing territorial adulte et responsable
Résumé
Nous entrons dans un monde qui se transforme profondément. Bâti notamment sous l’influence de principes construits pour la société de « grande » consommation comme je le développe dans cet article, le marketing territorial doit aujourd’hui faire ce qu’on appelle en entreprise un pivot. Il s’agit pour moi d’utiliser les acquis capitalisés ces dernières années pour accompagner les territoires dans la conception et mise en place de nouvelles politiques d’attractivité nettement plus en phase avec les réponses à apporter aux enjeux du réchauffement climatique, de la chute de la biodiversité ou encore à la montée des démarches citoyennes. Bien sûr le marketing territorial restera un sujet clé, mais ses valeurs et leviers vont changer. Dans les pays occidentaux, les territoires devront moins compter sur les mobilités carbonées ou l’artificialisation des sols pour générer de l’attractivité. De même, le « toujours plus » (de touristes, d’entreprises, de flux, etc.) va céder sa place au « toujours mieux » facilitant ainsi également la coexistence devenue parfois non pacifique entre des habitants et les visiteurs (voir par exemple le cas de Barcelone).
Loin d’être face à des chemins étroits, de nombreuses options sont possibles pour créer ce nouveau marketing adulte et responsable. A nous tous, marketeurs territoriaux, d’écrire cette nouvelle histoire en multipliant les expérimentations et coopérations entre nous. Le temps de la réclame s’achève progressivement, à nous de garder l’attention de nos cibles avec des propositions différentes car ancrées dans les nouvelles exigences du monde qui s’ouvre à nous.
Les origines du marketing territorial : la réclame

Les origines du marketing territorial peuvent remonter aux actions de « réclame territoriale » mises en place (affiches, brochures, discours, actions de communication) avec la Conquête de l’Ouest aux Etats-Unis et le développement du chemin de fer, puis de l’aviation, qui en ouvrant de nouveaux espaces et nouvelles routes ont permis d’accélérer les échanges.
L’Europe n’a pas échappé à ce mouvement et de nombreuses affiches de compagnies de chemin de fer / aériennes témoignent de cette période. Cette profusion d’images a d’ailleurs donné naissance à l’idée que le marketing, c’est de la Com !
Les bases du marketing territorial s’inspirent de méthodes créées pour la société de consommation
La naissance du marketing territorial remonte au milieu du 20ème siècle. Il s’inspire nettement des méthodes et premières techniques marketing développées dans les entreprises dès le début du 20ème siècle, mais surtout après la seconde guerre mondiale avec la montée en puissance de la société de consommation, d’abord aux Etats-Unis, puis à l’échelle internationale.
Le lancement de la marque I LOVE NY en 1976-1977 marque une étape importante pour le secteur public car elle a ouvert le chemin de l’introduction du marketing moderne dans les territoires, d’abord à nouveau aux Etats-Unis, puis progressivement en Europe, au Royaume-Uni bien sûr, mais aussi en Europe du Nord ou à Barcelone pour les JO de 1992. En France, les lois de décentralisation du début des années 1980 ont servi d’accélérateur de politiques d’attractivité et de la création d’outils par et pour les collectivités (et plus uniquement d’Etat), comme les comités ou agences chargés de promouvoir leurs territoires respectifs en matière économique ou touristique. Cette période a été propice à la multiplication d’actions de marketing et communication territoriales avec des résultats tangibles dans de nombreux marchés et territoires.
L’émergence d’une vision intégratrice : le nouveau marketing territorial

Progressivement, à partir des années 2000, le marketing territorial se structure tant sous la poussée du milieu académique et d’experts (parution d’ouvrages et d’articles universitaires, naissance de ce blogue le 27 juillet 2007) que de la multiplication d’initiatives innovantes à travers le monde, la France s’y mettant un peu plus tardivement d’ailleurs mais avec un rythme soutenu et de réels succès comme Only Lyon. En fondant la Chaire en 2012 à Sciences Po Aix (transférée depuis à l’Université d’Aix-Marseille), Joël Gayet symbolise d’ailleurs le passage à une nouvelle étape, en la nommant « Attractivité et Nouveau Marketing territorial ». En effet, la démultiplication des initiatives et études, mais aussi la montée en compétence des praticiens et académiques, ont permis au marketing territorial de passer à une nouvelle étape au début des années 2010. Pour moi, cette période marque le passage de l’enfance à l’adolescence du marketing territorial. Ces années se sont caractérisées par un changement d’échelle, notamment avec l’arrivée des approches holistiques en matière d’attractivité territoriale. En effet, les acteurs publics et privés ont pris conscience de la nécessité de travailler ensemble, mais aussi de dépasser les approches en silos pour aborder également l’attractivité selon une perspective globale. Les politiques de marque se sont ainsi multipliées, pas toujours très bien inspirées, mais ont montré la nécessité d’articuler dans une stratégie de marketing territorial cohérente des politiques de branding avec des approches commerciales et de mobilisation des forces vives. Toutefois, le modèle de référence reste inchangé car basé sur les règles de la société de « grande » consommation et du « top-down ». Même si des adaptations sont faites pour les territoires, la toile de fond reste la volonté de faire plus, d’accueillir plus, de vendre plus, etc. Les objectifs quantitatifs sont ainsi au cœur des objectifs.
La nécessaire transformation du marketing territorial face aux grandes transformations sociétales et enjeux climatiques et de biodiversité
La nouvelle décennie qui s’ouvre à nous sera celle du passage à l’âge adulte du marketing territorial car nous entrons dans une phase radicalement nouvelle et qui va imposer aux marketeurs territoriaux de faire rapidement un pivot. Les objectifs de neutralité carbone et de très forte réduction de l’artificialisation des sols pour parvenir également au Zéro Artificialisation Nette (ZAN) vont changer radicalement les modèles d’aménagement et de développement des territoires au cours des prochaines années. La politique du toujours plus sera de moins en moins possible dans un monde qui est limité en ressources non renouvelables notamment. Ce n’est pas neutre pour les politiques territoriales, y compris le marketing territorial, qui vont progressivement, mais radicalement, changer de nature. Les participants (dont Anne Miriel) de la dernière réunion du Club Marketing territorial Adetem – CNER – Institut Paris Region (synthèse à venir), qui s’intéressait au devenir du marketing territorial, ont d’ailleurs parfaitement conforté cette vision en indiquant que la transition écologique allait rapidement et très fortement s’imposer aux démarches de marketing territorial. Une conversation récente avec Christophe Alaux, lors de mon passage à Aix pour dispenser mes deux jours de formation, corrobore cette tendance. De nombreux territoires en France essayent également de se saisir de ce sujet, pas toujours facile à appréhender par les marketeurs lorsque l’on veut passer à la pratique !

Cette nouvelle période marque aussi un changement de posture. La dimension presque obsessionnelle de la croissance quantitative des flux a marqué le pas. Le surtourisme a joué un rôle dans cette tendance mais aussi d’autres réalités liées à la volonté d’élus, techniciens ou citoyens d’agir autrement en matière d’attractivité. Les attentes ne sont plus uniquement quantitatives mais aussi qualitatives. Pourquoi attirer plus de touristes si cela dégrade trop fortement les conditions de vie locale, l’environnement et qu’en plus les retombées économiques locales sont trop faibles ? Comment mieux lier l’attractivité économique et la mobilisation des compétences disponibles sur place ? Pourquoi attirer plus d’entreprises si les compétences qu’elles recherchent sont trop éloignées des compétences des personnes sur place et qui plus est disponibles ? Comment justifier la mise en place d’actions marketing si elles sont génératrices de nuisances perçues trop fortes à court, moyen ou long terme ?
Enfin, cette nouvelle période sera aussi celles de l’implication nettement plus forte des citoyens-ennes dans les démarches d’attractivité et plus uniquement en aval comme « ambassadeurs-trices » impliqué.e dans la promotion du territoire. Les populations veulent désormais partager un bien commun, leur territoire de vie ou de cœur et ses projets, agir et être impliqués dans sa dynamique collective. La quête de sens, déjà évoquée sur ce blogue, devient un élément essentiel.
Les conséquences de ces tendances ne sont pas neutres sur les politiques d’attractivité et de marketing territorial. Pour faire court, il va falloir changer nos pratiques et l’expression entrepreneuriale « faire un pivot » nous concerne tout autant. Je crois que nous devons opérer rapidement un puissant changement de direction dans le but d’adapter/réadapter les stratégies d’attractivité et de marketing territorial à ces nouvelles conditions de développement des territoires et à l’évolution des comportements qui en découlent pour partie. Demain, le recyclage et l’optimisation de l’existant sera privilégié. Demain, la qualité sera une exigence comme l’est la quantité aujourd’hui. Demain, la convivialité sera une condition absolument nécessaire pour réussir. Demain, la neutralité carbone sera un critère essentiel d’évaluation des politiques publiques et d’attractivité. Demain, les initiatives citoyennes seront encore plus présentes. Or, gérer ces transformations ne se décrète pas « d’en haut », elles se co-construisent en fonction des particularismes locaux. Les actions à mettre en place et à transformer se construiront pas à pas et vont nous obliger à changer nos pratiques et routines. A titre d’illustration, en matière d’offre d’installation d’entreprises ou de populations, on pourra de moins en moins compter sur la périurbanisation pour créer de l’attractivité. Allons-nous devoir nous résoudre à l’immobilisme ? Certainement pas. De nombreuses opportunités existent dans la régénération de l’offre existante ou des extensions ciblées. Autre exemple, le tourisme durable. Les mobilités et demandes des visiteurs vont changer et perturber fortement les business models des acteurs privés, mais aussi les pratiques des collectivités territoriales qui portent les destinations touristiques. Ne pas l’anticiper aujourd’hui serait une erreur stratégique lourde de conséquences.
Un nouveau monde à conquérir
Je suis un optimiste par nature sans pour autant être naïf. Je crois que le nouveau monde qui s’offre à nous, et que nous allons collectivement co-construire pour et avec les générations futures, est une source de régénération du marketing territorial. En se basant sur sa dimension empathique plus que sur certaines techniques issues de la société d’hyperconsommation, le marketing des territoires peut, en se reconstruisant, aller bien au- delà de ce qu’il apporte aujourd’hui en matière d’attractivité. Par exemple, « l’esprit marketing » peut, en se combinant avec d’autres approches, apporter lui aussi une forte valeur ajoutée très utile aux territoires qui vont devoir comprendre et agir sur les comportements pour accompagner sereinement les mutations qui se sont engagées. Vous l’avez compris, je crois fondamentalement que le sens, l’éthique et le collaboratif seront au cœur du marketing territorial adulte et responsable.
Tous concernés dans le monde francophone ?

Les lecteurs de ce blogue n’étant pas tous en France métropolitaine, en Europe ou au Québec, ils peuvent légitimement s’interroger sur la portée de cette prise de position au regard de leurs situations au sein du monde francophone. En effet, les conditions d’attractivité sont très différentes en Outre-Mer, au Maroc, en Algérie, au Sénégal ou en Côte d’Ivoire. Les besoins d’infrastructures restent criants et sont de véritables leviers de développement pour résoudre les conditions de vie des habitants. Etant en contact avec des marketeurs territoriaux de ces pays, je mesure les différences qui existent avec les pays occidentaux. Néanmoins, il me semble important, comme cela s’est passé pour la téléphonie mobile, d’éviter de suivre pas à pas la trajectoire de pays comme la France ou d’autres pays émergés en Asie ou au Moyen-Orient. Vous pouvez sauter des cases et aller plus vite vers ce marketing adulte et responsable que j’appelle de mes vœux. Aujourd’hui, « Copier / coller les modèles utilisés jusqu’à récemment » n’est plus votre bonne solution d’avenir !
Pour conclure. Que dire à vos élus et décideurs ?
Le marketing territorial reste d’actualité car ses méthodes de travail, sa compréhension des comportements et son mode de fonctionnement participatif sont des leviers importants pour apporter des réponses aux nouveaux enjeux des territoires et à l’implication croissante des habitants et visiteurs. En revanche, s’ils pensent toujours que le marketing territorial se résume à de la Com et rien que de la Com, ou à une approche « top-down » qui a régné au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, alors vous allez devoir faire preuve de beaucoup de pédagogie ou faire appel à des amis !
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout. Pas toujours évident pour ceux qui consultent mon blogue à partir d’un smartphone mêle si la lecture proposée via over-blog est agréable. N’hésitez pas en tout cas à réagir en commentant cet article sur le blogue ou à travers les réseaux sociaux. Sachez que je poursuivrai ces idées lors de mes prochaines interventions publiques, la première étant la conférence de clôture du Place Marketing Forum 2020. J’irai également plus dans le détail lors de mes prochaines formations.
Vincent Gollain, 23 Février 2020